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Vincent Bourdieu

Achraf Hakimi Divorce : autopsie juridique d’une controverse patrimoniale

L’effervescence médiatique entourant le divorce d’Achraf Hakimi a récemment atteint son paroxysme, cristallisant les attentions non pas sur la dissolution du lien conjugal en elle-même, mais sur une supposée manœuvre de dissimulation patrimoniale. Une rumeur, propagée avec une célérité déconcertante, faisait état d’une stratégie d’évitement par laquelle la fortune du joueur aurait été intégralement placée sous la titularité de sa mère.

Cette allégation spectaculaire s’est toutefois rapidement heurtée aux principes fondamentaux du droit successoral et matrimonial. Des analyses juridiques approfondies, émanant d’experts et de juristes, ont infirmé cette possibilité, la qualifiant de fake news. La réalité du contentieux se situe ailleurs, au cœur du droit espagnol et des subtilités du régime matrimonial choisi par les époux, bien loin des constructions chimériques qui ont enflammé le débat public.

La genèse d’une controverse patrimoniale

Le récit qui a captivé l’opinion publique dépeignait un scénario digne d’une fiction juridique. Selon cette narration, l’épouse du célèbre footballeur, Hiba Abouk, aurait découvert, lors de l’introduction de la procédure de divorce, que son conjoint ne détenait formellement aucun bien mobilier ou immobilier. L’intégralité de ses actifs, évalués à plusieurs dizaines de millions d’euros, ainsi que ses revenus professionnels, seraient gérés et détenus par sa mère, Saida Mouh.

Cette rumeur insinuait une stratégie délibérée, orchestrée de longue date, visant à obérer les droits de l’épouse lors de la liquidation du régime matrimonial. La viralité de cette information, reprise sans vérification préalable par de nombreux organes de presse, a instantanément polarisé le débat. Elle a transformé une affaire privée en un cas d’école présumé de fraude aux droits du conjoint, suscitant des réactions passionnées et souvent antinomiques.

Achraf Hakimi a lui-même dû s’exprimer pour rectifier ces allégations. Il a précisé que la gestion de ses finances par sa mère était une pratique ancrée dans une relation de confiance absolue, établie dès les prémices de sa carrière professionnelle, et donc largement antérieure à son union. Cette clarification tente de substituer la thèse de la confiance filiale à celle de la manœuvre dolosive.

Démystification juridique d’une rumeur virale

Sur le plan strictement juridique, l’hypothèse d’un transfert intégral du patrimoine au bénéfice d’un tiers pour se soustraire aux obligations du divorce relève de l’illégalité manifeste. Que ce soit sous l’empire du droit français, applicable au lieu de résidence et de travail du joueur, ou du droit espagnol, régissant le mariage, une telle manœuvre serait constitutive d’une organisation d’insolvabilité ou d’une fraude paulienne, aisément révocable devant les juridictions compétentes.

Des experts, tels que l’universitaire Omar El Adlouni, ont tracé l’origine de cette désinformation jusqu’à un compte Twitter ivoirien, soulignant la fragilité de la source initiale face à l’ampleur de sa dissémination. Le journaliste Gilles Verdez a également corroboré cette analyse, affirmant l’impossibilité légale d’une telle structure patrimoniale, que ce soit en France, en Espagne ou au Maroc.

La réalité juridique est que les biens acquis durant l’union, sous réserve du régime matrimonial applicable, doivent être partagés. Une dissimulation de cette nature, si elle était avérée, serait immédiatement sanctionnée par le juge aux affaires familiales, qui dispose des outils nécessaires pour réintégrer les actifs dissimulés dans la masse à partager.

Le prisme du droit espagnol sur le divorce

L’affaire étant soumise au droit espagnol, lieu de célébration du mariage, la compréhension du régime matrimonial supplétif est essentielle. En l’absence de contrat de mariage spécifique (contrat prénuptial), le régime par défaut en Espagne est celui de la séparation de biens (separación de bienes). Ce régime se distingue radicalement du régime de la communauté réduite aux acquêts, plus courant en France.

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Sous le régime de la séparation de biens, chaque époux conserve la propriété exclusive des biens qu’il possédait avant le mariage et de ceux qu’il acquiert personnellement durant l’union, y compris ses revenus professionnels. La notion de « biens communs » est donc quasi inexistante. En cas de divorce, il n’y a pas, par principe, de partage par moitié du patrimoine accumulé.

Cette configuration juridique explique pourquoi la controverse sur la fortune au nom de la mère est techniquement infondée. Les revenus de M. Hakimi lui appartiennent en propre. La question pour Hiba Abouk n’est donc pas d’obtenir la moitié d’une communauté qui n’existe pas, mais potentiellement de solliciter une compensation financière au titre du déséquilibre économique (desequilibrio económico) généré par la rupture, une disposition spécifique du Code civil espagnol.

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Analyse comparée des régimes matrimoniaux applicables

Pour saisir la portée de la situation, il convient de distinguer les différents régimes matrimoniaux prévus par le droit espagnol. Le choix (ou l’absence de choix) d’un régime a des conséquences drastiques lors de la dissolution de l’union.

Le tableau suivant synthétise les trois principaux régimes espagnols :

Régime MatrimonialDescriptionConséquences du Divorce
Separación de Bienes (Séparation de biens)Régime légal supplétif (par défaut). Chaque époux reste propriétaire de ses biens propres et de ses acquêts (revenus, achats).Pas de partage de communauté. Chacun conserve ses biens. Possibilité de compensation pour déséquilibre économique ou travail domestique.
Sociedad de Gananciales (Communauté des biens)Tous les biens et revenus acquis pendant le mariage sont communs (« gananciales ») et appartiennent aux deux époux à parts égales.Le patrimoine commun est liquidé et partagé par moitié entre les époux.
Participación en los Acquêts (Participation aux acquêts)Fonctionne comme une séparation de biens durant le mariage, mais à la dissolution, l’époux qui s’est le moins enrichi a droit à une créance de participation.Calcul complexe de l’enrichissement net de chaque époux durant l’union, puis partage de la différence.

Exporter vers Sheets

Dans le cas présent, le régime de la separación de bienes s’appliquant, la demande de Hiba Abouk ne peut porter sur un partage des 70 millions d’euros, mais sur une compensation visant à redresser le déséquilibre manifeste créé par le divorce sur sa situation financière, eu égard à sa contribution à la vie familiale.

Implications sociales et résonance médiatique

Au-delà de l’analyse juridique, l’affaire Hakimi est un puissant révélateur des tensions sociales et des stéréotypes de genre. La rumeur, bien qu’infondée, a été accueillie avec une certaine approbation dans une frange de l’opinion publique, saluant une prétendue « masterclass » financière. Cette réaction met en lumière une méfiance tenace et des préjugés misogynes envers les femmes dans les unions hypergames.

Cette réception médiatique a eu plusieurs conséquences notables :

  • Renforcement du stéréotype de « l’épouse vénale », dépeignant Hiba Abouk comme une profiteuse, occultant sa propre carrière d’actrice.
  • Alimentation d’un discours masculiniste célébrant l’évitement des obligations financières post-conjugales.
  • Occultation de la réalité juridique, qui vise précisément à protéger le conjoint économiquement plus faible (souvent la femme ayant mis sa carrière en suspens) par des mécanismes compensatoires.

Hiba Abouk a elle-même pris la parole via un communiqué dans El Pais, pour clarifier sa position. Elle y a souligné que sa décision de se séparer était antérieure aux autres affaires judiciaires impliquant son ex-conjoint et que sa priorité absolue demeurait la protection et le bien-être de ses enfants. Elle a également affirmé se placer « du côté des victimes », tout en faisant confiance à l’œuvre de la justice.

L’affaire au-delà du tumulte : perspectives juridiques

En définitive, l’affaire du divorce Hakimi, une fois expurgée du bruit médiatique et de la désinformation, retourne à ce qu’elle est : un contentieux de droit familial complexe, régi par le droit espagnol de la séparation de biens. La rumeur d’une dissimulation patrimoniale massive via la mère du joueur ne résiste pas à l’analyse juridique sérieuse et s’avère être une construction sans fondement légal.

Ce dossier illustre de manière saisissante le danger de la « justice » des réseaux sociaux, prompte à condamner ou à encenser sur la base d’informations non vérifiées. Le véritable enjeu juridique ne réside pas dans une fortune « cachée », mais dans l’appréciation par le juge espagnol de l’existence et de l’ampleur d’un déséquilibre économique post-divorce, justifiant l’allocation d’une prestation compensatoire à Hiba Abouk.